article 15/Indications d’une arthrodèse d’emblée

Publié le par Posturoptimiste

Formes particulières de hernie discale

 

 

Indications d’une arthrodèse d’emblée

Philippe Lapresle Clinique Arago, Paris.

 

 

Introduction

Les indications d’une arthrodèse d’emblée dans la hernie discale lombaire nous semblent de prime abord exceptionnelles, le curage discal simple paraissant suffisant pour l’écrasante majorité des situations pathologiques requérant une intervention.

Pourtant cette attitude souffre de multiples exceptions tenant aux variantes symptomatiques, anatomiques et évolutives des hernies discales.

 

En reprenant la littérature, les indications les plus divergentes se révèlent toutefois de nature culturelle et géographique. Nous les évoquerons d’abord.

 

Indications des arthrodèses d’ emblées

Alourdir le si simple curage discal lombaire dans la forme commune de hernie discale lombaire  pour lui associer quasi systématiquement une arthrodèse nous heurte et cette attitude est certainement très minoritaire en France. Pourtant la même procédure est fort peu contestée à l’étage cervical…

Aux Etats-Unis et au Japon, il n’en va pas de même et ce, depuis longtemps. Lane et Moore (9) sur 36 patients en 1948, Suzuki (19) sur 30 en 1958, Harmon (4)  en 1963 sur 244 cas, Sacks (17) en 1965 sur 150 opérés et plus récemment Inoué et coll. (6), (7) sur 350 cas ont défendu l’arthrodèse initiale pour traiter la pathologie herniaire discale lombaire. Ces auteurs sont tous restés fidèles à un abord antérieur trans-peritonéal avec greffe inter-somatique.

Leurs résultats cliniques proclament de 80% à 90% de patients asymptomatiques ou très améliorés. Ils attribuent généralement ces succès à la disparition régulière des lombalgies associées grâce à la restauration de la hauteur discale et à la restitution de la lordose lombaire physiologique.

Des comparaisons myélographiques pré et post opératoires montrent d’étonnantes disparitions des aspects de compressions radiculaires. Plusieurs observations doivent cependant faire adopter une certaine réserve. S’agit-il surtout des mêmes patients ? Dans la série d’Inoué, si 100% des patients étaient lombalgiques, seuls 85% étaient sciatalgiques et encore moins avaient un signe de Lasègue positif (66%. De même, si 308 patients sur 350 avaient subi une discographie, seuls 27 avaient été explorés par myélographie…Avec les mêmes indications, Stauffer et Coventry (18) en 1972 n’ont rapporté, sur 77 patients, que 36% de bons résultats cliniques et 44% de pseudarthroses. Les complications de cette chirurgie ne sont pas non plus négligeables même si elles diminuent avec l’expérience de l’opérateur : citons  surtout l’éjaculation rétrograde (jusqu’à 6% des cas) et les phlébites et ileus (2 à 10 %. Peut-être est-il prudent de suivre Stauffer et Coventry qui proposent de restreindre les indications aux rares cas où la chirurgie postérieure serait contre-indiquée.

 

L’indication chirurgicale dans les hernies à formes lombalgiques n’a pas bonne réputation, qu’il s’agisse de simple curage ou de curage associé à une arthrodèse.

Comme MacNab (11), la plupart des auteurs, médecins ou chirurgiens, conseillent ici la poursuite du traitement médical, la guérison chirurgicale étant très  aléatoire, voire source d’aggravation.

Les exceptions sont rares mais possibles : dans la revue personnelle de nos cas, à l’occasion de cette communication, sur les dix dernières années, nous n’avons retrouvé que 2 cas sur 260 hernies opérées d’arthrodèse immédiatement associée au curage. Il s’agissait de discopathies dégénératives isolées, monoétagées, en L4-L5, où une lombalgie invalidante coexistait avec une sciatalgie chronique. Deburge et Benoist (2) ont publié en 1984 la revue des échecs (21%), opérés (31 cas) de 235 nucleolyses. Seuls 4 patients, là encore souffrant de lombalgies importantes ont bénéficié d’une arthrodèse (postéro-latérale ) dans le même temps que l’excision discale.

La hernie discale, quand c’est nécessaire et selon les conférences de consensus, pose le plus souvent une indication opératoire d’exécution relativement rapide. L’arthrodèse pour lombalgie au contraire mérite une décision longuement mûrie. Il n’est donc pas étonnant que leur champ commun d’application soit très réduit.

 

Les indications d’arthrodèse d’emblée qui recueillent le moins de critiques correspondent plutôt à certaines formes anatomiques de hernie discale : hernies foraminales, hernies sur spondylisthesis, sur scolioses et sous arthrodèses anciennes.

Les hernies foraminales sont bien connues seulement depuis 25 ans (Patrick)(13), rares (4% selon Vital et Sénégas)(20) mais plus faciles qu’autrefois à diagnostiquer en raison des progrès de l’imagerie.

La technique d’éxérèse classique suppose le plus souvent l’arthrectomie qui, combinée au curage discal, fait craindre une déstabilisation secondaire. Néanmoins l’arthrodèse n’a été réalisée que 3 fois, toujours en L5-S1, dans la série de 40 hernies foraminales rapportée par les précédents auteurs. Beaucoup plus nombreuses ont été les arthrectomies totales sans arthrodèse (10), les voies externes para-spinales (5), les voies inter-lamaires (5) et les voies combinant les deux précédentes.

Dans leurs conclusions ces auteurs prônent une technique aussi conservatrice que possible : percutanée pour une hernie non exclue, voie externe para-spinale pour les hernies extra-foraminales et voie combinée lamaire et extra-spinale pour les hernies intra foraminales. Ils réservent les arthrodèses aux rares hernies foraminales L5-S1 où l’abord para-spinal est rendu difficile par la proximité des crêtes iliaques.

 

Ces indications sont largement partagées par Kunogi et coll.(8) qui, sur 8 hernies foraminales ou extra foraminales opérées n’ont eu besoin que de réaliser 2 arthrodèses mais qu’ils recommandent chaque fois qu’une arthrectomie totale s’avère nécessaire. 2 fois cependant a été réalisée une « hemi-laminectomie avec arthroplastie » dont on peut se demander si elle n’aboutira pas de facto à une arthrodèse suspendue…

Les hernies discales sur spondylolisthesis sont curieusement assez rares. Sous une vertèbre affectée par une lyse isthmique, elles sont même exceptionnelles ; sous un antelisthesis dégénératif, elles sont un peu plus fréquentes mais la hernie n’est alors souvent que l’élément décompensateur aigu d’une sténose chronique.

Poussa et Tallroth (16) ont présenté en 1993 3 cas de hernie discale sur SPL par lyse isthmique. Toutes concernaient L5-S1. Un seul patient subit une libération avec arthrodèse postéro-latérale mais fut soulagé de tout symptôme, radiculaire et lombaire. Un autre bénéficia d’une simple libération et resta lombalgique. Le dernier fut traité médicalement. Les auteurs insistent sur la difficulté d’interpréter l’imagerie, notamment le scanner, en raison de la glissade de la vertèbre supérieure tandis que le disque reste solidaire de la vertèbre inférieure. Le scanner est ainsi à l’origine de nombreux « faux positifs »  de hernie.

De nombreux travaux ont été consacrés aux risques de déplacement secondaire, initié ou aggravé dans la chirurgie de la sténose lombaire. Il semble majeur quand existe déjà en pré-opératoire un spondylolisthesis dégératif à condition que le disque, siège du glissement, ait gardé une certaine épaisseur.

 La survenue d’une hernie dans ce contexte est rare mais possible. Elle correspond alors à un tableau clinique bien particulier par le début brutal des symptômes et le caractère fortement latéralisé de la sciatique ou de la cruralgie d’eefort habituellement bilatérale. Peu courant dans la sténose, un signe de Lasègue positif en fin de course est possible. L’arthrodèse complétant la libération des canaux lombaires étroits avec SPL dégératif est généralement recommandée ( Herkowitz (5). L’association d’une hernie imposant un curage discal ne fait que rendre plus impérative cette recommandation.

 

Scoliose et hernie discale ont été peu étudiées conjointement.

La plupart des publications comme celles de Matsui et coll (12) et Lorio et coll. (10) ont porté sur les attitudes scoliotiques entraînées par différentes formes de hernies discales. Plusieurs hypothèses ont été formulées relativement à la situation de la hernie (convexité ou concavité ; localisation pré, latéro ou extra-radiculaire ) et la morphologie de la déformation.

La conclusion généralement admise est que cette dernière n’est aucunement un facteur prédictif fiable de la migration de la hernie. A notre connaissance aucun auteur n’a considéré une telle déviation scoliotique dans ce contexte comme une indication d’arthrodèse.

Il est difficile de savoir si les scolioses idiopathiques ou dégénératives exposent plus ou moins à la survenue d’une hernie discale.

Les grandes séries ( toutes assez récentes car la scoliose lombaire de l’adulte n’est véritablement étudiée que depuis 20 ans ) n’en font pas mention Ainsi celles de Guillaumat (3), Bradford (1) et Postachini (15). Théoriquement, 2 localisations semblent les plus exposées à la survenue d’une hernie : le niveau de la dislocation (souvent L3-L4) entre la courbure principale et la contre courbure sous jacente et la concavité de la contre courbure lombo-sacrée. Personnellement nous n’avons rencontré qu’une fois cette dernière situation et compte tenu de l’âge (79 ans) une décompression radiculaire simple a été préférée.

Dans quels cas de hernie sur scoliose faudrait-il donc arthrodéser? Il paraît bien difficile de le proposer en face d’une scoliose idiopathique stable ou peu évolutive de l’adulte pour plusieurs raisons : incertitudes quant à l’histoire naturelle d’un disque situé au pied d’une scoliose et cureté ; disproportion entre lourdeur du geste réclamant une grande arthrodèse et symptomatologie douloureuse exclusivement mono ou pauci-radiculaire.

Dans le cas d’une scoliose dégénérative lombaire du sujet âgé où une arthrodèse courte et suspendue peut être plus légitimement indiquée, sans objectif de réduction, cette indication peut se trouver justifiée notamment si l’instabilité locale pré ou post-décompression le suggère.

Sous les arthrodèses anciennes, réalisées par exemple pour scolioses ou fractures dorso-lombaires, les évolutions dégénératives se font plus volontiers vers la sténose que vers la hernie discale. Néanmoins nous avons rencontré un cas semblable à l’issue du curage duquel nous avons réalisé une prolongation d’arthrodèse.

Nous ne terminerons pas cette étude sans citer une forme rare de hernie discale dont 1 cas a été publié en 1996 par Perves et Morvan (14): il s’agissait d’une hernie L5-S1, migrée en avant de l’aile du sacrum et comprimant le tronc lombo-sacré droit. Elle fut réséquée par voie transpéritonéale après dissection des vaisseaux iliaques externes et internes et complétée par une arthrodèse inter-somatique.

Conclusion

 

L’arthrodèse d’emblée dans la pathologie herniaire lombaire relève de la rareté ou de « l’exception culturelle ».

L’indication la plus justifiée et fréquente nous paraît être la hernie foraminale quand elle impose pour son excision l’arthrectomie complète. Techniquement rapide et simple (montage asymétrique pédiculaire du côté décomprimé et vis trans-articulaire de l’autre selon Roy-Camille ) elle ne s’adresse toutefois qu’à une infime minorité de hernies.

Source de l'article

http://www.gieda.net/annales/2000/4.htm

        Bibliographie

 

1.     Bradford D. Adult scoliosis : Surgical indications, operative management and outcome. Spine,1999 ;24 :2617-2629.

2.     Deburge, M. Benoist et J. Rocolle. La chirurgie dans les échecs de la nucléolyse des hernies discales lombaires. R.C.O. n° 70, 637-641, 1984.

3.     Guillaumat M. La scoliose lombaire de l’adulte : traitement chirurgical avec l’instrumentation Cotrel-Dubousset. Rachis, 1990. Vol 2, n°6 ; 463-484.

4.     Harmon, P. H.: Anterior excision and vertebral body fusion operation for intervertebral disk syndromes of the lower lumbar spine; Three to five-year results in 244 cases. Clin. Orthop. 26: 107, 1963.

5.     Herkowitz H.et col. Degenerative lumbar spondylolisthesis with spinal stenosis. J bone joint surg (AM),1991 ;73 : 802-808.

6.     Inoue, S. : Over ten years follow up study of anterior 1umbar body fusion. J. Jpn. Orthop. Assoc. 43 :749,1969.

7.     Inoue, S. et coll. Anterior Discectomy and Interbody Fusion for Lumbar Disc Herniation. A Review of 350 Cases. Clin Orthop.1984.

8.     Kunogi & Hasue. Foraminal nerve root compression ..spine . Volume 16 . Number 11 . 1991.

9.     Lane, J. D., and Moore, E. S.: Transperitoneal approach to the intervertebral disc in the 1umbar area. Ann.Surg. 127 :537, 1948.

10. Lorio MP, Bernstein AJ, Simmons EH. Sciatic spinal deformity-Lumbosacral list : An « unusual » presentation with review of the literature. J Spinal Disord 1995 ;8 :201-5.

11. Mac Nab I . Chemonucleolysis.  Clin. Neuro surg.. 1973, 20, 183-192.

12. Matsui H & coll. Significance of sciatic scoliotic list in operated patients with lumbar discherniation.Spine, Volume 23, number 3, pp 338-342, 1998.

13. Patrick B : Extreme lateral ruptures of 1umbar interver-tebral discs. Surg Neurol, 1975, 3, 301-304.

14. Perves A. Morvan G. Hernie discale L5-S1 migrée en avant de l’aile du sacrum et comprimant le tronc 1ombo-sacral droit. R.C.O. 1996.82.557-560.

15. Postacchini F, Montanaro A : Extreme lateral herniations of 1umbar disks. Clin Orthop. 1979, 138, 222-227.

16. Poussa M & Tallroth K .Disc herniation in 1umbar spondylolisthesis. Report of 3 symptomatic cases. Acta Orthop Scand 1993 ; 64 (1) : 13-16.

17. Sacks, S. : Anterior interbody fusion of the 1umbar spine J. Bone Joint Surg.47B :211, 1965.

18. Stauffer, R N., and Coventry, M. B. : Anterior interbody 1umbar spine fusion. J. Bone Joint Surg. I54 A : 756, 1972.

19. Suzuki, J. : Anterior Bony fusion for 1umbar disc herniation. J. Jpn. Orthop. Assoc. 32/ 948, 1958.

20. Vital, j.m.. Sénégas j. et coll. Hernies foraminales lombaires. Revue de Chirurgie Orthopédique.1991, 77. 336-343.

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